Le corps est-il un patrimoine comme un autre ? Si heureusement tout n’est pas déterminé, il y des caractéristiques physiques dont on ne peut s’affranchir. De ma grand-mère, j’ai hérité des yeux bleus, des pommettes saillantes et des épaules frêles.
Cette carrure contraste très tôt avec le bas de mon corps, beaucoup plus enveloppée. Les jambes fines et fuselées, les hanches droites, ce n’est pas pour moi. Dès que que j’en ai conscience, je mets le doigt dans un engrenage infernal. L’envie de maigrir est présente dès l’enfance. Je dirais vers 9/10 ans. La puberté est passée par là et la jolie petite fille s’alourdit peu à peu. Très vite, la chair déborde de tous mes vêtements et je ne sais que faire de ce nouveau corps, qui est juste trop pour moi. C’est à cette époque que les premières remarques masculines font leur apparition. A partir du collège, c’est terminé. Je suis cataloguée, étiquetée comme “grosse”. Bonne pour le rebut.
L’adolescence est un long tunnel avec peu de lumière. A la fois, j’aimerais disparaître pour ne plus souffrir des remarques sur mon corps, mais surtout je jalouse “les autres”. Ces copines ou connaissances qui sont minces. Pas besoin d’être jolie. Même avec des traits grossiers; être fine est un laisser-passer pour une vie plus douce. Pour moi, c’est peine perdue, je ne joue pas dans la même catégorie. Je vois les autres connaître leurs premiers émois, j’observe de loin, exclue. Je dois combattre mes démons. Chaque tentative de régime échoue lamentablement.
En rentrant du collège je dévore des paquets de gâteaux et des magazines qui exposent les corps parfaits des supermodels. C’est l’âge d’or de la grande fille saine toujours en bikini, bronzée et athlétique. Une image qui me hante encore aujourd’hui sous les tropiques. Chaque année, je caresse l’espoir de prendre quelques centimètres pour être un peu plus élancée.Je dois me rendre à l’évidence : je ne grandirai pas au-delà d’1 mètre 64. Ma peau est blanche et mes veines sont marquées, on est très loin des peaux parfaites des magazines et de celles de mes copines qui bronzent vite et bien.
Ce corps si loin des canons de beauté me plonge dans la dépression. Je sombre, petit à petit. Je me coupe du monde et ma timidité devient maladive. Bien que bonne élève, je n’ose plus participer en classe, de peur d’être moquée. Le poids que je confère à mon apparence physique va alors grandement déterminer mon avenir. Si je ne suis pas jolie, je ne peux pas être intéressante. Pour moi beauté et intelligence vont se lier, d’une façon assez malsaine. On donne plus de crédit aux gens minces.
En terminale, je me mets à courir un peu. Durant cette année, je perds une dizaine de kilos. Au moment d’entrer en hypokhâgne, j’ai l’impression d’avoir enfin vaincu quelque chose. Le combat ne fait que commencer. Faire la paix avec son corps, ce n’est pas seulement le modeler ou le contenir, c’est aussi apprendre à faire avec ce qu’on a.
Laissez un commentaire