Julien Kaibeck est connu pour son livre paru en 2012 “Adoptez la Slow Cosmétique”. Dans ce ce best seller, véritable acte de naissance de la Slow Cosmétique, il oriente le public vers des produits cosmétiques les plus simples possibles, sur le principe du consommer moins mais mieux. Il est aujourd’hui président de l’association Slow Cosmétique à laquelle il consacre la majorité de son temps.
Qu’est-ce que le label Slow Cosmétique et comment est-il décerné ?
Le label est une réponse à une question posée par de nombreux consommateurs dès 2013. Ils nous disaient : “la Slow Cosmétique c’est bien, mais quels produits devons nous acheter ?“. Au début, on s’était refusé à conseiller des produits, mais il est vrai que la demande était là. Nous avons donc développé la mention Slow Cosmétique, inspirée du guide Michelin pour les restaurants. Il y a 85 critères examinés selon 4 piliers. Tout d’abord, nous vérifions si la marque est écologique. Les formules, les emballages et les processus de fabrication par rapport à l’impact environnemental sont examinés. Ensuite, nous vérifions si la marque est saine, c’est-à- dire qu’elle ne porte pas atteinte à la santé. Il s’agit de regarder attentivement les formules. Le troisième pilier de la Slow Cosmétique est de chercher à savoir si la marque est intelligente. Nous vérifions si la cosmétique qu’elle propose apporte quelque chose de réellement intéressant pour la peau avec les produits les plus adéquats possible. Par exemple, une huile végétale peu transformée plutôt qu’une huile estérifiée ou hydrogénée. Pour nous le principe d’une cosmétique intelligente, c’est less is more. La marque doit adopter le principe du “moins c’est mieux” dans ses formulations et le développement de ses gammes. Le quatrième et dernier pilier, c’est de vérifier que la marque pratique une cosmétique raisonnable, qu’elle ne fait pas de greenwashing. Nous vérifions tous les messages, toutes les communications, les allégations. Les troisième et quatrième piliers, c’est un peu ce qui marque notre différence avec un label bio qui fait déjà tout ce qui concerne les deux premiers, mais qui ne s’intéresse pas au marketing de la marque, ni au détail des formulations.
Les labels bio labellisent des marques industrielles. Que pensez-vous du bio en grande distribution ?
Notre philosophie est différente. Le label Slow Cosmétique exclut toute entreprise dont le capital n’est pas 100% familial et toute société de type multinationale. Par définition, les marques labellisées sont de petites PME familiales, vous ne trouverez pas de grands groupes avec le label Slow Cosmétique.
Pourquoi est-ce si important dans votre démarche ?
Nous privilégions des circuits plus courts, des modes de productions plus limités. Lorsque l’on est sur une production à échelle industrielle, le respect du produit noble n’est pas le même. Notre combat est de mettre en avant les produits les moins transformés possible issus du végétal, du terroir, de l’artisanat. Forcément, ces produits sont plus fragiles que ceux qui sont utilisés par l’industrie qui, elle, a besoin de produits très résistants.
Il y a un vrai engouement autour du mouvement de la Slow Cosmétique. Vous ressentez une forte demande de la part des consommateurs pour des cosmétiques plus sains ?
Nous sommes une association de consommateurs, contrairement à Cosmébio et Nature et Progrès qui sont des associations de marques – et qui font des choses très intéressantes également. On privilégie le message auprès du consommateur, qui a lui-même son propre message. Nous ne sommes pas les seuls à inviter les gens à consommer moins mais mieux. Nous pensons vraiment que plus les gens réorienteront leur consommation vers des produits plus sains et naturels, plus il y aura d’innovations en la matière.
Quel est le rôle des producteurs dans cette démarche ?
Quand un producteur de plantes aromatiques dans la Drôme ou en Corse obtient le label, il atteint un niveau de visibilité plus élevé, qui lui permet de développer son activité avec des innovations en matière de culture biologique des plantes qu’il utilise, de distillation ou de transformation de la plante sans les habitudes industrielles. Notre but est de sensibiliser le consommateur, mais aussi d’aider le producteur à répondre à une demande de façon raisonnée et adaptée, dans le respect de l’environnement. Produire de cette manière nécessite de faire des choix, notamment de rentabilité. Elle ne peut pas être aussi élevée que dans l’industrie. Par exemple, proposer des eaux florales sans conservateur, c’est un défi. Cela nécessite une distillation particulière. C’est pour cela que nous avons proposé en 2015 à tous les producteurs de vendre leurs produits sur une marketplace. C’est comme une gigantesque halle de marché, où 110 petits producteurs vendent leurs produits. Cela permet de booster leur visibilité et de leur donner plus de moyens pour améliorer leur outil de production.
Certaines marques sont-elles inquiètes de la tendance du home made qui est prônée par la Slow Cosmétique ?
La Slow Cosmétique prône le fait-maison pour les produits sains. Dans la routine de la Slow Cosmétique, on est invité à se masser le visage le soir avec un sérum huileux. Cette huile de beauté, on va la fabriquer soi-même avec, par exemple, deux huiles végétales mélangées ensemble et une huile essentielle qui va venir aromatiser le mélange. Il y a beaucoup de recettes de masques, de gommages, d’huiles faits maison. Cependant, le fait-maison n’est pas à n’importe quel prix. Il s’agit toujours de recettes simples qui ne nécessitent pas trop d’ingrédients et qui sont relativement abordables en termes de difficultés d’exécution.
Il y a eu une polémique sur les huiles essentielles qui peuvent être dangereuses, si elles sont mal utilisées. Cela fait-il partie de vos missions d’apprendre aux consommateurs à utiliser ce type d’ingrédients ?
Oui, tout à fait. On éduque le consommateur au maximum en rappelant que les huiles essentielles ne sont pas des produits anodins et sont interdites à certaines personnes. C’est vrai qu’on en utilise beaucoup en Slow Cosmétique comme actifs ou comme parfums. On rappelle les règles, à savoir : faire le bon dosage et utiliser des huiles de qualité. Nous avons dans le réseau des professionnels qui distillent de façon raisonnée, sont sur de la production biologique, ne coupent pas leurs huiles essentielles et les produisent eux-mêmes, forcément en quantités limitées. Cela réduit les risques.
Que pensez-vous de la tendance de la green beauty ? Va-t-elle obliger l’industrie cosmétique à changer ?
Oui, nous sommes à un tournant. L’industrie cosmétique change déjà. Depuis quelques années, elle propose beaucoup plus de produits huileux, par exemple. Ce sont des galéniques différentes. On trouve des huiles pour le visage, les cheveux … On trouve de plus en plus de savons solides également. Les grands groupes comme L’Oréal se mettent au bio avec des sous-marques biologiques. Malheureusement, cela se fait toujours dans la logique de la cosmétique conventionnelle, avec des produits très transformés. Il y a dans ces produits beaucoup d’huiles estérifiées, donc des huiles modifiées pour être moins grasses, des huiles hydrogénées pour qu’elle soient plus confortables. Il y a un changement, mais il n’est pas à la hauteur des produits fabriqués par les structures labellisées Slow Cosmétique. Elles sont sur des productions plus petites et surtout acceptent de gagner moins, car leurs marges sont bien moins élevées que dans l’industrie conventionnelle.
Avez-vous déjà subi des pressions de l’industrie ?
Étonnamment, non. Il faut dire que nous ne sommes pas dans la dénonciation à tout prix, on essaie de lire les étiquettes et de les décrypter. On lance des alertes, mais pas de façon folle. Quand des perturbateurs endocriniens sont présents dans les cosmétiques conventionnels, on le dit, mais on rappelle bien que ces cosmétiques respectent la loi. Il ne sont pas dangereux au sens de la loi, juste décevants à nos yeux et ceux qui se reconnaissent dans notre vision nous suivent. C’est peut-être pour cela que nous n’avons jamais subi de pressions de la part du conventionnel. À mon avis, ils nous observent avec un peu d’effroi, mais comme nous ne commettons pas de diffamation, ils n’ont pas de raison de nous attaquer.
En revanche des géants de la cosmétique reprennent de plus en plus nos éléments de langage, mais ne seront jamais labellisés Slow Cosmétique, car ils ne sont pas en phase avec notre charte.
Le plus dur en ce moment n’est-il pas de combattre le greenwashing pratiqué par certaines marques ?
Oui, car il est de plus en plus fort. La tendance green est de plus en plus vendeuse, un peu à cause de nous aussi. Certains consommateurs sont un peu perdus, parce que beaucoup de marques adoptent un message vert. Nous représentons une certaine forme d’authenticité dans l’océan d’allégations vertes qui existe dans la sphère de consommation. C’est pour cela qu’il faut accepter que les produits Slow Cosmétique soient parfois un peu moins confortables, un peu moins stables … Évidemment, ils ne s’adressent pas à la grande consommation, mais au moins ils offrent la certitude d’avoir un produit très authentique.
Que pensez-vous des marques éco-luxes qui se lancent pour tenter de toucher un autre public, réticent à abandonner la cosmétique conventionnelle ?
Souvent, cela signifie un travail de transformation important sur certains ingrédients. Nous estimons que cela n’est pas toujours nécessaire. Généralement, c’est accompagné d’un positionnement prix qui est volontairement élevé et pas toujours justifié. Une huile estérifiée est toujours moins chère qu’une huile végétale. Cela implique aussi souvent de faire appel à des laboratoires externes pour la fabrication. Ces marques sont obligées de pratiquer un prix prohibitif pour deux raisons : se positionner sur le marché du luxe et payer l’intermédiaire qui fabrique. Par essence, la Slow Cosmétique privilégie l’achat direct au producteur. Je connais beaucoup de marques, mais je n’ai pas connaissance de marques éco-luxes qui soient Slow Cosmétique hormis celles qui ont déjà le label : Soin de Soi, Oolution, Indemne, Cut by Fred … Ce sont des marques très branchées qui offrent un confort d’application et d’utilisation important. L’éco-luxe c’est bien, mais pas à n’importe quel prix. On ne peut pas utiliser n’importe quel ingrédient sous prétexte qu’il faut du confort dans l’application.
Quelles sont les prochaines étapes pour le développement de la Slow Cosmétique ?
Notre grand défi est de conquérir d’autres publics. Par exemple, les jeunes sont très friands des messages des influenceuses sur Instagram. Elles sont très jeunes et sont encore assez peu sensibilisées aux formules, aux modes de production raisonnables, au terroir. On doit s’adresser à la génération Z, aux Millenials qui sont conscientisés tout en restant très friands de maquillage, de vernis, de palettes de fards à paupière … Du rêve offert par les stars et les égéries en fait. Les deux publics que nous devons viser et espérons rallier à notre cause, ce sont : les très jeunes et les personnalités publiques qui ont une influence importante avec les réseaux sociaux. Ils ne sont pas aujourd’hui vraiment conscients que le bio c’est bien mais qu’il n’y a pas que ça, que le naturel c’est bien mais que ça ne suffit pas toujours.
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